En feuilletant cette ancienne mais excellente revue qu’était L’Automobile que mon père achetait en son temps, j’ai retrouvé l’essai « au galop » de notre Mustang I qui y figurait dans le n°213 de janvier 1964, ce n’est pas d’aujourd’hui !
En voici un long résumé rédigé et photographié par Bernard Cahier.
« Une 65cv qui ferait la joie des sportifs »
Lorsque la Ford Mustang fit son apparition en Europe à l’occasion du Salon automobile de Genève, cette voiture sport, d’inspiration européenne mais made in USA fut accueillie très favorablement mais il est bon d’ajouter aussi avec un certain optimisme.
Bien sûr, la Mustang était intéressante avec son aspect sportif très différent de celui de nos voitures sports « genre MG », mais n’avions-nous pas à faire une fois de plus à l’une de ces nombreuses voitures américaines de rêve ou « demi rêve » qui vont et viennent au fil des années sans jamais réellement se matérialiser.
J’étais personnellement assez sceptique quant aux qualités réelles de la Mustang sur nos routes et j’aurais sans doute conservé cette opinion si l’aimable service de presse de Ford Allemagne n’avait pas pris l’heureuse initiative de me confier pour deux jours cette voiture.
Ford-Cologne s’était vu en effet confier pour une période indéterminée, par Ford-Amérique, la Mustang afin de la présenter dans différents salons et afin aussi de faire subir à cette voiture de sérieux essais sur nos routes et même sur de circuits difficiles comme celui du Nürburgring. Ces essais devaient se révéler si satisfaisants que Ford-Cologne ne pouvait laisser passer l’occasion de confier la Mustang à quelques journalistes, ce qui fut fait, pour notre plus grand plaisir.
Conçue et dessinée entièrement par les services techniques de Ford-Dearborn (notamment par Roy Lunn qui fut l’un des meilleurs ingénieurs d’Aston-Martin avant d’émigrer aux USA), la Mustang fut construite en Californie par les spécialistes Trautman & Barnes de Culver-City, bien connus eux-mêmes pour les réalisations de la Chaparral I et Scarab Sport.
De dimensions très compactes, 392 cm de long pour un empattement de 230 cm et une hauteur à peine supérieure à un mètre, la Mustang est une véritable voiture de sport à moteur arrière, châssis tubulaire et carrosserie aluminium* pour un poids de 720 kg. Roues avant et arrière sont indépendantes (double triangle, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs télescopiques, barre de torsion, etc.) et des freins à disque ont été montés à l’avant. Le moteur est le V4 1500cc de la Taunus 12M (ex Cardinal) et il a été modifié pour donner une puissance réelle de 65 chevaux à 5200 tr/mn. En fait, je pense que ce moteur n’avait pas 65cv mais 85, ce qui expliquerait mieux les temps remarquables que nous devions enregistrer pendant nos essais. La boîte 4 vitesses de la Taunus, avec commande au plancher, a été conservée pour la Mustang, mais avec des rapports plus longs et fort bien adaptés aux performances élevées de la voiture. La première, en effet, va maintenant jusqu’à 60 km/h, la deuxième atteint 96 et la troisième 130 pour une vitesse maximale se situant à plus de 180 km/h en quatrième.
Le moteur V4 de la 12M est monté à l’arrière et dispose de généreuses tubulures d’échappement.
La Mustang est très personnelle d’aspect et son style moderne ne manque pas d’attirer l’attention partout où elle passe. Sa carrosserie, très bien profilée, est du type Spyder avec un pare-brise bas en plexiglas et, sans doute pour faire bien ressortir le côté sportif de la voiture, aucune capote n’a été prévue, ce qui est éminemment sportif et très pratique lorsqu’il pleut ! Heureusement pour nous un bon soleil d’automne présidait à nos essais (espérons que si la voiture est construite, on pensera à ce petit détail !).
La Mustang est strictement une deux places (sans place réelle pour les bagages) et les deux sièges, recouverts de cuir bleu, présentent la particularité d’être inamovibles. Le problème de la position de conduite désirée est lui-même résolu par l’ajustement du jeu des pédales et par celui du volant. Le réglage des pédales se fait au moyen d’un levier unique, genre frein à main, qui fait bouger le pédalier de haut en bas et permet au conducteur de trouver ainsi la position de conduite voulue, le volant réglable complétant cette opération. Très nouvelle, cette solution est simple et efficace et je la trouve très pratique. Les sièges sont bien dessinés et l’ensemble est bien fini, le tableau de bord complet et très lisible.
Se glisser dans le poste de pilotage de la Mustang est une opération un peu acrobatique du fait des hauts montants latéraux causés par le châssis tubulaire, mais après tout, nous avons à faire à une voiture de sport, pas précisément dessinée pour des jupes étroites !
Marqué d’une flèche, est-ce le levier de boîte de vitesses ou le levier de réglage du pédalier ?
Installé au volant (volant et pédales sont réglables sur mesure), on se trouve très à l’aise dans le cockpit de la Mustang et la position de conduite est bonne. Sur la route, dès les premiers kilomètres, on s’habitue très vite au comportement de la voiture qui, malgré une sensation première de légèreté , apparaît saine et toujours très contrôlable grâce à une direction très précise.
On est surpris par les reprises de la Mustang ainsi que par sa tenue de route. En fait tous les préjugés que l’on pouvait avoir au départ sur cette voiture sport US s’envolent au fil des kilomètres et on est bientôt absorbé par le plaisir de conduire cette étonnante petite voiture ! Après une heure de conduite, j’étais parfaitement à l’aise au volant de la Mustang et je décidais d’essayer la voiture sur le circuit de la Solitude.
(Le circuit de Solitude est un circuit routier de 11,4 km situé près de Stuttgart et nommé ainsi d’après la proximité du château de Solitude. Des épreuves de sports mécaniques y eurent lieu de 1903 à 1965).
Rapide mais difficile, le circuit de la Solitude est un excellent banc d’essais pour une voiture et, malgré bien des tours accomplis à des allures bien proches de la limite, je ne pus guère prendre la Mustang en défaut en ce qui concerne sa tenue de route. Seuls les freins me parurent mal équilibrés mais il s’agissait peut être d’une question de réglage. Très légèrement survireuse, la Mustang paraît toujours être sur des rails ce qui permet de la placer parfaitement dans une courbe ou dans des « S » où la voiture suivra sans protester la trajectoire désirée.
À tout moment on se sent en sécurité et grâce aux excellents rapports de la boîte, d’un maniement aisé et rapide, on se sent bien placé partout. Le moteur lui-même « rend » très fort, les chevaux arrivent à 3000 tours et il est possible de tirer sur les intermédiaires jusqu’à 7000 tours sans que ce vaillant petit V4 semble en souffrir. Équipée des pneus Dunlop SP, la Mustang n’est pas une voiture facile à faire glisser et c’est seulement dans des virages lents et en exagérant que l’on arrive à faire partir l’arrière de la voiture. Celle-ci semble d’ailleurs le faire presque à regret et à aucun moment ce décrochement « volontaire » ne devient alarmant. Avec un pare-brise en plexiglas, le problème de la visibilité n’est pas idéal et il est nécessaire de conduire en regardant non pas à travers mais au dessus du pare-brise. Ce dernier est par bonheur bien dessiné ce qui fait qu’on est peu gêné par le vent, particulièrement à vitesse élevée. Les remous d’air sont par contre assez gênants dans le cockpit et le bruit de l’échappement libre du moteur n’améliore pas cette situation. Dans la Mustang, les conversations sont limitées ce qui n’est peut être pas un mal ! Nous avons pu enregistrer les temps d’accélération suivants en utilisant 7000 tours, régime toléré par l’usine :
- 0 à 60 km/h : 5’
- 0 à 80 km/h : 7’ 8
- 0 à 10 km/h : 11’ 6
- 0 à 120 km/h : 16’ 8
- 0 à 140 km/h : 24’ 6
L’arrière du prototype n’est pas sans rappeler l’arrivée de la future GT 40.
Le kilomètre départ arrêté et les 400 mètres étant respectivement couverts en 32’ 5 et 17’ 8.
En vitesse maximum, la voiture fut chronométrée à 180 km/h, chiffre particulièrement significatif pour une voiture de 1500cc n’avouant que 65cv. Les chiffres d’accélérations sont également intéressants.
La Mustang est une voiture sportive vivante, très amusante à conduire et pourvue d’une tenus de route digne d’éloges. Souhaitons que Ford construise en série la Mustang qui pourrait faire la joie de bien des sportifs, non seulement du point de vue performances et sécurité, mais aussi parce que cette voiture est quelque chose de vraiment différent dans son style et sa conception générale. Espérons donc que ce prototype n’ira pas rejoindre le musée Ford sans jamais avoir été « reproduit », ce qui serait vraiment trop dommage !
*Dans la partie I de cet article, il est précisé que la carrosserie est en plastique. Alors, plastique ou aluminium ? Dans un site consacré à ce prototype, il est dit qu’ils ont utilisé de l’argile pour faire un moule ainsi que de la fibre de verre afin de créer une carrosserie en aluminium.
Hervé Pannier